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L’Œuvre d’un homme

Bernard Goy, 2022

Pour l'exposition à la Villa Magdala "Entre Terres et Ciels"

 

Un tableau de Richard Ballard, peint en 1991, a pour titre Limite, ce mot dont l’étymologie renvoie au bord, mais aussi à la « marche », à l’origine séparation entre deux terrains.

En soi, la limite est impensable, c’est une absence de lieu en quelque sorte.

En effet le tableau a quelque chose de paradoxal : sa facture, impersonnelle et juste, dépourvue de pathos, laisse voir clairement le sujet représenté : une partie d’un champ, d’une terre. Pourtant le recadrage appliqué à ce motif ne permet pas d’apprécier totalement l’espace dans lequel il s’inscrit. Les courbes ascendantes de la partie haute n’évoquent pas clairement un dénivelé ou une profondeur, elles peuvent aussi bien suivre le tracé de la haie qui disparaît dans les bandes de peinture latérales. Ces bandes frustrent les réflexes de la vision, le regard voudrait se projeter mais ne rencontre pas l’espace conforme au code de la perspective qu’il attend. Au lieu de n’être que le support d’un imaginaire pittoresque, d’une fiction, le tableau montre à la fois son sujet, un fragment de paysage, et sa surface matérielle, affirmée par les bandes latérales monochromes.

 

Placé entre d’ironiques parenthèses dans un tableau du groupe Art & Language dans les mêmes années, le paysage, sujet par excellence de la peinture anglaise, est traité à l’échelle du portrait dans cette série de Richard Ballard.

Je me rappelle avoir longuement évoqué avec lui la question de l’échelle, plus tard, à son retour d’Australie, à propos des grands tableaux rouges notamment.

Mais dans certains petits tableaux du début des années 90, l’échelle interne de chaque peinture, c’est à dire la relation entre le sujet, sa forme et le format du tableau, paraissait déjà déterminante. Le petit format induit une certaine intimité avec l’œuvre, son sujet comme sa phénoménologie propre apparaissent en même temps au regard.

Par comparaison, un tableau de grand format dans une salle d’exposition est un peu comme une, ou un inconnu dont on va faire la connaissance : à quelques pas on a le temps de voir son allure, ses vêtements, son regard enfin, avant de découvrir son visage et le grain de sa peau ; alors qu’un petit tableau vu dans un atelier se montre un peu comme la face d’une personne proche, tout ensemble et sans manière.

Richard Ballard ne se sert pas du paysage pour raconter une autre histoire.

Dépourvue d’ostentation malgré un fort effet de présence, cette peinture montre plutôt une relation vivante avec ses motifs, comme l’a si bien écrit Daniel Pennac.

Bien que l’homme eut parfois l’image d’un artiste romantique – personnalité intense, voire grave, mais jamais sans humour –  l’œuvre comme l’artiste échappe à la tentation du sublime et des postures de radicalité, au profit d’une attention au réel, à sa densité.

Dans les derniers fusains, la modulation entre ombre et lumière repose sur des décennies d’acuité du regard et du geste travaillés ensemble, même si le frémissement des feuillages trahit aussi la fragilité de ces instants précis.

 

Aujourd’hui de jeunes artistes de plus en plus nombreuses - ce sont souvent des femmes - investissent le champ de la performance et de l’installation, pour retrouver et associer le public à une relation multiple avec le vivant, la nature, le dehors, le « non-humain » selon le terme souvent utilisé. Ce courant, à la fois très engagé et humble dans ses aspirations, revendique la déconnexion, l’échelle corporelle, la lenteur, la terre, le local, … la limite en somme.

 

Spontanément certains aînés viennent à l’esprit comme des jalons précédant ces enjeux :

Hamish Fulton, Richard Long, autres paysagistes anglais à leur manière. L’œuvre de Richard Ballard peut également s’inscrire dans cette histoire de l’attention à la présence multiple et vivante du réel.

 

Résolument postmoderne ne serait-ce que par sa génération, l’artiste restait toutefois à l’écart des courants plus ou moins assimilés à l’esthétique de la déconstruction, plus proche de la phrase célèbre du discours d’Albert Camus à Stockholm, parlant de sa génération qui sait qu’elle ne refera pas le monde :

« Sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »

 

Plus rarement cités, quelques mots du discours de Camus qui viennent ensuite sont peut-être plus proches encore : « (…) un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. »

Dans son regard

Daniel Pennac, 2022

 

   Je vis dans le regard de Richard Ballard. Ce qu’il a vu est sur mes murs. Dans les pièces de ma vie que je fréquente le plus constamment, - ma bibliothèque et ma cuisine - je vois  un tournesol rouge, des meules de foin roulées dans l’or et l’ombre d’un soleil couchant, un if sombre de la Drôme, un grand champ de tous les verts mêlés, des nuages saisis dans le mouvement de leur passage, une statue de Rabelais infiniment plus vivante que son modèle livré aux pigeons de Chinon, tout le Vercors dans un gros livre d’aquarelles, comme personne ne l’a jamais regardé. Quel désir, dans le regard de Richard Ballard ! L’intensité de ce regard !  Non seulement je vois tout cela quotidiennement, mais je le regarde moi aussi. Je regarde ce que Richard a si ardemment désiré regarder. J’ouvre le livre du Vercors et c’est chaque fois comme une surprise de vérité. J’entends le rire de mon ami, aussi, brusque et sonore (une bourrasque, ce rire, à plier les arbres.)Il me demande de porter sa boîte d’aquarelles. Plus de vingt kilos ! Toute les couleurs de ce qu’il a désiré voir dans des petits pots de terre cuite. Son rire avait la puissance et la soudaineté que je trouve à son travail, à son trait, à la justesse de son regard.

   Il y a là, dans ma maison, quelque chose d’indiscutable : ce qu’a vu Richard Ballard ! Prenez le Rabelais de Chinon que son fusain a libéré de la pierre. Puissamment vivant et rigolard, un brin féroce même, il est prêt à descendre de son socle pour rire du rire de Richard. Il n’est pas seulement un dessin posé sur l’étagère de ma bibliothèque, il est ma compagnie quotidienne. Il est le désir éprouvé par Richard de rendre Rabelais à la vie en l’offrant à la mienne. Il vit avec moi. Mon vieux Richard, j’aime vivre dans ton regard.

 

Ballard ou l'évidence de l'incarnation

Daniel Pennac, 2001

 

   Pendant plus de vingt ans j'ai cru passer mes étés et mes hivers dans le massif du Vercors. Et puis, un jour j'en ai montré des photos à Richard Ballard. Les toiles qu'il en a tirées m'ont sorti d'un songe : mon Vercors n'existait pas avant que Ballard ait posé son œil sur lui ! Passez-moi cette métaphore pseudo religieuse, mais ses toiles sont "l'évidence de l'incarnation" : elles offrent plus de réalité que le massif lui- même, plus de matière que ses rochers sous nos pieds, plus de lumiere que son herbe sous nos yeux, plus d'ampleur que son ciel autour de nos têtes.

   Richard Ballard est, j'imagine, ce qu'on appelle un créateur. D'ailleurs, l'été dernier, quand je l'ai invité a nous rejoindre, ma femme et moi, dans notre montagne, ce fut en lui disant : "Viens donc voir ce que tu as créé." Et je garderai longtemps le souvenir de la promenade que nous avons faite dans le résultat tangible de son travail. Ce n'est pas que Ballard fasse dans l'hyperréalisme, (lequel, d'ailleurs, vidait plutôt les formes de leur substance) non, ses toiles trouvent au contraire leur réalité dans la matière même où puise son pinceau. Avant de se mettre au travail, en fabriquant lui- même ses couleurs, Ballard crée la matiere de sa matière, la lumiere de sa lumière... Le reste, c'est son regard. Comme si les yeux de Ballard décrétaient l'existence des choses : de la meule de foin à la pierre abandonnée, en passant par le pylône électrique ou les nuage immatériels... C'est la tension de ce regard et l'autorité de cette touche qui font l'unité d'une oeuvre si diverse.

   Un peintre regarde intensément les choses et voilà que le monde se met à exister pour de bon.

About Pylons and Landscapes

Richard Ballard, 1999

 

   These paintings are like portraits in that they try to establish a empathy with the subjec)-. though the subjects are things seen in landscape : a bale of hay, a tree, a flower or a shadow. Unlike landscape paintings, they don't celebrate the experience of the place or an environment.

The bands of colour function in two ways. Firstly they situate the subject by blocking -out whatis not necessary, producing,an intimacy between the viewer and what is seen. Secondly, and paradoxically, they hold the viewer back, disturbing the illusionism and bringing the painting into focus as an object.

   The intention of this work is not to develop a personal vision or a recognisable paintily style, it is simply to find an-other approach to painting using nature and landscape as an inspiration and mediator. Within the boundaries that constitute the practice of painting 1 try to make objects of contemplation that offer a different way of seeing landscape and painting simultaneously.

 

 

Français :

A propos des Pylones et des Paysages

Richard Ballard, 1999

 

   Ces peintures sont comme des portraits dans le sens ou elles essaient d'établir une empatie avec un sujet, même si les sujets sont des choses vues dans un paysage: une botte de paille, un arbre, une fleur ou une ombre. A l'opposé des peintures représentant des paysages elles n'essaient pas de célébrer l'expérience d'un endroit ou d'un environnement.

Les bandes de couleur fonctionnent de deux façons. D'abord, elles situent le sujet en bloquant ce qui n'est pas nécessaire, produisant une intimité entre celui qui voit et ce qui est vu. Ensuite et paradoxallement, elles retiennent celui qui voit, dérangeant l'illusionnisme et mettant l'accent sur le tableau en tant qu'objet.

   L'intention de ce travail n'est pas de développer un vision personnelle ou un style de peinture reconnaissable, c'est simplement d'essayer une autre approche de la peinture en utilisant la nature et le paysage comme inspiration et comme médiateur. A l'intérieur des frontières que constitue la pratique de la peinture, j'essaie de créer des objets de contemplation qui offrent une façon différente de voir le paysage et le tableau simultanément.